24 juin 2009

La mort de Neda

Paru sur le blog comprendrelatele.blog.lemonde
23 juin 2009

La mort de Neda

Sous coup de l’émotion, j’ai livré hier soir ce que l’on appelle désormais mon “sentiment” sur ces images de la pauvre Neda, que je ne pouvais regarder en face. Cette affaire me poursuit et j’y mets aujourd’hui un peu de la distance qu’impose le regard sémiotique.
Barthes, dans La Chambre claire, considérait que la photographie met en jeu trois instances: l’operator, celui qui prend la photo, le spectator, celui qui la regarde et le spectrum, celui qui la subit. Or, dans notre société médiatique, on ne regarde les images que sous l’angle du spectator. Peu s’interrogent sur l’operator, qui est à la source, et sur ce qu’on pourrait appeler, pour continuer les néologismes de Barthes, le mediator, celui qui fait circuler les images (et Marie-France Chambat-Houillon a raison de nous le rappeler dans son commentaire du post précédent). Quant au spectrum, on n’y pense jamais. Que pense celui qui est pris par la photo? Le nom que Barthes lui donne est en parfaite adéquation avec les images de guerre, même civile: ce que nous montre l’image de celui qui perd la vie, c’est déjà un spectre, corps transformé instantanément en un fantôme qui nous apparaît au moment où il expire. Et comme tout fantôme, ce corps qui souffre nous hante et revient sans cesse à notre mémoire. D’autant que, à la différence de la photo qui fige un instant fugace, l’image animée nous fait saisir ce moment où l’être humain devient un mort. C’est ce devenir que je ne supporte pas de regarder.
Dans la perspective d’une éthique de la photographie, il faut adopter le point de vue du spectrum. Avant d’être un symbole, une martyre est d’abord une martyre.
comprendrelatele

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