31 octobre 2009

La France se déloque , se débraille

Extrait de l'éditorial de Claude Imbert, dancs Le Point du 22 .10 2009
La France se déloque, se débraille. Sa démocratie aussi. Une révolution ? Non ! Mais une étape nouvelle sur la pente que creusent sans fin « l'égalité des conditions et ¬l'empire de l'opinion », disait Tocqueville. Pour dévaler cette pente, le train est inégal : aujourd'hui, les institutions se tiennent tranquilles, même si la pratique sarkozyenne les malmène. En revanche, les moeurs ¬tirent le convoi.
Et plus encore l'opinion avec sa servante maîtresse, la presse, et son énorme arroi de télés, Internet et autres blogs, une armada médiatique qui porte l'opinion, ¬l'exprime et la modèle. Quatrième pouvoir démocratique ? Mais non, le deuxième ! L'opinion, par les médias de masse, opère un massif transfert d'influences au sein de la société. On veut en faire une maladie dégénérative de la démocratie. Elle n'en est que le plus récent avatar.
Le cas Frédéric Mitterrand, le cas Jean Sarkozy, tout cet échauffement public qui s'ajoute à la taxe carbone et, bien sûr, aux misères du chômage secouent le landerneau politique. Les nervosités, les turbulences de l'opinion viennent-elles de la crise ? J'y vois surtout la dernière péripétie d'une évolution fatale : l'émancipation effrénée de l'opinion. La vox populi envahit la cité. Et la « France silencieuse » fait désormais un boucan de tous les diables.
Dans l'ordre politique, souvenons-nous que les deux vedettes de la finale présidentielle furent propulsées par l'opinion contre le souhait des caciques. Sarkozy le fut contre les voeux et manoeuvres de l'état-major chiraquien. Ségolène Royal, elle, contre le directoire des « éléphants » socialistes. Mme Royal est en déclin, mais, dans le sillage de sa rébellion, l'opinion impose aujourd'hui au PS, et à son vieux directoire, le système des primaires. Le populaire bouscule la caste.
En fait, l'opinion soumet de plus en plus le processus politique à sa loi que gouverne le coeur plutôt que l'esprit : au précipité émotionnel, au prestige de l'image. La politique se plie à la télé-réalité. Elle porte au pinacle une génération d'hommes aptes à épouser tous les soubresauts de l'opinion, à recueillir, hors l'élection, les faveurs précaires des sondages où elle affiche sa tutelle. Nicolas Sarkozy, courant du four au moulin, assure, avec une énergie bonapartiste, le service complet. Outre les affaires d'Etat - crise financière, jeu international, promotions des grands intérêts commerciaux de la nation où il glane des succès consistants -, il ne laisse aucun fait divers sans grain de sel. Et jusqu'au point outrancier d'offrir à l'opinion, pour presque chacun d'entre eux, l'expéditif emplâtre de la loi...
L'allure, le ton des hommes nouveaux s'adaptent au pathos émotionnel : il leur faut séduire par l'apparence, le « dégagé » démagogue, la comédie de l'empathie jusque dans la fête, le stade ou le cimetière. Berlusconi - prince des médias par son talent de comédien populaire et la puissance de son capital médiatique - illustre jusqu'à la caricature ce style du nouvel âge démocratique.

Libellés : , , , , ,