Claude Sérillon : le nantais invité de l'OUM
1er avril ensoleillé à Nantes pour accueillir Claude Sérillon, invité de l'Observatoire universitaire des médias de l'université permanente. Conférence débat très ouverte, interactive, sur le rôle la responsabilité des journalistes et particulièrement des journalistes télé. Je reviendrais sur la conférence, mais je voulais d'emblée - on en a beaucoup parlé vendredi dernier - revenir sur le très beau texte, lucide, sans faux fuyants, publié par Claude Sérillon dans Le Monde en mai 1993 quelques jours après le suicide de Pierre Bérégovoy.
Extraits
JE ne suis pas innocent. Je suis journaliste depuis suffisamment de temps pour ne pas méconnaître la responsabilité collective.
Prenons au pied des lettres l'avertissement. Par une curieuse coïncidence, depuis peu d'années, des magistrats et des journalistes semblent se réunir pour animer l'actualité et se placer en redoutables arbitres de ce qui est bien, de ce qui est mal, de ce qu'il convient de dénoncer et de ce qu'il faut absolument penser. Travaillant en duettistes parfois, ils alimentent tout autant leurs dossiers d'instruction que leurs colonnes ou leurs minutes de comptes rendus radiotélévisés. Tous les deux également le font, du moins officiellement pour le service du public : les juges siègent au nom du peuple français, les journalistes sont là, rappellent-ils, pour contenter le droit naturel du public d'être informé. Tous les deux (mais surtout et de façon indiscutable les magistrats) n'ont rien ou presque rien à craindre. Quelle sanction, en effet, pour des journalistes qui, passant leur temps à s'auto-informer, provoquent, même involontairement, des drames, quelle sanction pour un juge qui se trompe, qui persiste dans l'erreur et laisse ainsi des femmes et des hommes en prison, mourir, parfois. Pour ces derniers, l'appréciation se fera en interne et, pour les premiers, la chimère d'un Conseil de l'ordre présente plus de dangers que d'intérêt.
Il est bien instructif de lire l'ouvrage réalisé sous la férule de Pierre Bourdieu relatant la misère du monde et donnant la parole à des Français, des gens simples des " gens de peu ". La machine médiatique (assurément plus celle de l'audiovisuel mais sans qu'il soit juste de dédouanner les quotidiens ou magazines de presse écrite quels qu'ils soient) ne s'en préoccupe guère puisqu'ils ne font pas partie du cercle. Les journalistes sont essentiellement voyeurs de leur monde, de celui qu'ils lisent sur d'autres supports, de celui qui leur est transmis par des satellites par d'autres journalistes. Il en résulte un vertigineux enchaînement interrompu quelquefois par une catastrophe, des flots de sang ou encore, au hasard, un cri humain perdu ! A l'intérieur de ce cercle, les hommes politiques, les activistes militants, les femmes et les hommes de pouvoir, prisonniers volontaires du spectacle public, puisqu'il n'y a apparemment pas d'autres moyens de faire savoir ce que l'on croit. Et comme leurs paroles ou leurs actes ne suffisent plus à faire monter l'audience, ils sont désormais désarmés face à des coalitions perverses d'hommes de presse et d'hommes de loi. Les obligations du marché alliées aux obsessions de l'indépendance. Mais de quelle indépendance s'agit-il ? En tout cas, pas celle de l'esprit ni celle de la connaissance. On craint qu'il ne soit question que de la protection de son corps professionnel ou de la rentabilité de son produit journalistique.
...............................................................................
Petit à petit (au bénéfice du doute), les journalistes se sont pris au jeu de l'exercice du contrôle des pouvoirs et se désignent avec une belle et redoutable assurance comme les pesons d'une balance où les hommes jugés n'ont d'autres ressources que le silence s'ils veulent au minimum survivre, au risque d'être définitivement pressentis délinquants voire criminels. On objectera non sans raison que la vie publique est dure, que les petits malins grouillent dans tous les camps, qu'il est nécessaire que la presse soit un contre-pouvoir. Mais au nom de quelle morale commerciale ou culturelle en est-on arrivé à jeter en pâture " aux chiens ", comme le dit le président de la République, mais plus généralement à l'opinion publique (cette catin, selon l'expression de Me Moro Giafferi, " qui n'a pas sa place dans une enceinte de justice "), qui n'en demande à vrai dire pas tant. Si nous avions un peu plus souvent la pertinence de la modestie, du respect d'un secret d'instruction (et se retrouvent là juges et journalistes complices du débordement), je gage que des tourments personnels comme ceux du jeune maire Yves Laurent (maire PS de Saint-Sébastien-sur-Loire), dont le nom fut cité dans l'affaire Trajer par plusieurs journaux et qui se donna la mort en septembre 91) et du vieux militant Pierre Bérégovoy auraient connu une autre fin.
C'est à chacun d'entre nous, porteur d'une carte de presse et, pardon d'y revenir pour ceux et celles qui y voient un outrage à la justice, aux magistrats d'y songer. Il ne suffira pas de hausser les épaules ou pis encore de dresser un partage entre les uns plus coupables que les autres pour quitter ces marécages. A proportion du nombre de personnes qui nous lisent ou nous regardent, les exigences sont terribles. Peut-être avons-nous cru que rendre compte d'une information pouvait aisément flirter avec un système fondé sur des photocopies, des on-dit, des rapports dérobés. Je ne crois pas que nous ayons pour fonction de séparer le bon grain de l'ivraie. Notre emploi n'est pas au-dessus des autres. Il ne saurait y avoir des journalistes (des juges) et puis le reste du peuple auquel on montre, comme à la foire, ses élus. Juger, c'est déjà ne pas comprendre, m'en souvient-il. Et si nous reprenions tout simplement un travail d'explication, sans chercher à plaire ou à déplaire, à faire ou à défaire, à détruire ou à donner des conseils, en respectant une hiérarchie d'information ? C'est-à-dire en éclairant des événements qui n'ont pas tous la même importance mais qui, mis les uns àcôté des autres, donnent aux citoyens toutes les capacités, pour eux et pour eux seulement, d'apprécier la vie des hommes, petits ou grands, qui leur ressemblent.
SERILLON CLAUDE+ Photos de Claude Sérillon à Nantes
Libellés : Claude Sérillon, OUM, Pierre Bérégovoy, presse et justice, Yves Laurent
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home