12 décembre 2014

La Loire, mémoire spectacle et tragédies

A propos du débat sur la Loire...

La Loire n’est pas un long fleuve tranquille. A Nantes elle a plusieurs pages tragiques, que l’on retrouve plus ou moins facilement, en longeant ses rives.
Le Mémorial de l’abolition de l’esclavage ouvert en  mars 2012 est le lieu de mémoire qui retient d’abord l’attention. Sur les quais du bras de la Madeleine  et à proximité du centre-ville, il fait consensus auprès des Nantais  malgré les réserves formulées par certains sur le coût de l’ouvrage. A la fois par sa thématique  de nature à faciliter un dialogue ouvert sur des pages douloureuses de l’histoire nantaise, et une prise de conscience de tout ce qui reste à faire pour abolir définitivement l’esclavage dans le monde. De même  par le parti pris architectural qui dans son aspect souterrain, mais ouvert sur le fleuve et ses prolongements outre-mer, incite à la méditation sur les crimes commis dans le passé négrier de Nantes. Si j’ajoute que l’esplanade vient en aval s’appuyer sur l’un des piliers de l’ancien pont transbordeur à proximité du pont Anne de Bretagne, ce sont autant de traces présentes sur la rive droite du fleuve qui rappellent l’étroite imbrication de l’histoire nantaise et de la Loire.
Dans  les aspects mémoriels qui s’attachent à la Loire à Nantes, regardons la fresque  du mur de Royal de Luxe près de la station Hôtel Dieu. La Loire y figure en bonne place avec plusieurs évènements dont elle a été le théâtre. Une place d’honneur est  consacrée  au plongeur du pont transbordeur,  le jeune émigré polonais  Willy Wolff, 27 ans. Nous étions le 31 mai 1925, un dimanche. Avant le grand saut il vendait les cartes postales de « l’homme qui va mourir » cf. photos;  ce qui, hélas ! se produisit devant les yeux de milliers de Nantais. Relisons Le Populaire du 1er juin «  …Il est cinq heures un quart…Assis sur le trapèze, Willy Wolff salue le peuple roi, tel un acrobate sous la toile du cirque. Il jette son mouchoir et s’entoure de deux torches dont la flamme fragile danse au gré du vent. Il exécute plusieurs rétablissements sur la base du trapèze puis se prépare à plonger…Il plonge. Un instant, on voit son corps au-dessus des flots, qui cherche à rétablir son équilibre. Une immense gerbe d’eau s’ouvre et se referme sur lui… » Willy Wolff ne pourra être secouru et son corps sera  retrouvé six jours plus tard au Pellerin «  Beau comme il l’était dimanche encore » écrira Le Populaire (cf. Jacques Sigot Les ponts à transbordeur Editions de la Houdinière).




  

Il y a eu beaucoup de noyés anonymes  en Loire. Le mur de Royal de Luxe n’oublie pas d’illustrer ceux qui l’ont été de façon criminelle sur ces mêmes lieux dans la période de Terreur de la Révolution française.  Je parle des noyades en Loire de novembre 1793 à février 1794, appelées à l’époque «  déportations verticales », ordonnées par Jean-Baptiste Carrier en mission pour la Convention, qui ont fait plusieurs milliers de victimes. De 1800 à 4000 selon l’historien Jean- Clément Martin et beaucoup plus pour d’autres auteurs. Bien sûr, il s’agit des vaincus de l’Histoire : prêtres réfractaires, aristocrates, soldats et familles avec enfants et vieillards, de l’armée vendéenne décimée. Considérés comme des ennemis de la révolution et de la liberté, leur sort a été scellé selon un  processus sommaire et expéditif qui préfigurait de nombreux crimes de régimes totalitaires. La Loire est aussi un cimetière…
        

C’est un thème de méditation toujours d’actualité qui parait dans la mémoire nantaise encore empreint d’un surmoi idéologique qui tend à minimiser, voire ignorer ces évènements. Certes des associations vendéennes les commémorent mais dans une vision très unilatérale. A ma connaissance, rien sur les bords de la Loire ne rappelle ces exécutions, si ce n’est à proximité, une modeste plaque rue Lamoricière devant l’ Ancien entrepôt des cafés, à l’emplacement d’une des prisons où s’entassaient beaucoup des futurs «  déportés verticaux ».
 220 ans après, cette mémoire ne doit-elle pas être mieux partagée, là où ces crimes se sont produits ?

Diffusé auprès du conseil de développement de Nantes Métropole le 12 décembre 2014



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