La langue des médias : phobie, dérapage, évaluation morale
Extrait d'une récente interview sur le site Atlantico ( plutôt à droite sur l'échiquier presse d'opinion).
Dans son dernier
livre, "La langue des médias", l'universitaire Ingrid Riocreux
analyse l'emploi exponentiel du mot "dérapage" par les journalistes,
ce qui révèle, selon elle, une dérive de ces derniers qui assument de plus en
plus une fonction d'évaluation morale.
Destruction
du langage
Publié le 20
Mars 2016
Atlantico : Dans votre livre, "La langue des
médias", sous-titré "destruction du langage et fabrication du
consentement", vous évoquez les mots valises et autres expressions
convenues des journalistes. Parmi ceux-ci, l'incontournable "dérapage",
qu'on lit et qu'on entend plusieurs fois par jour désormais. Depuis quand et
pourquoi, selon vous ?
Ingrid Riocreux : Au sens propre, déraper c’est glisser de manière incontrôlée, accidentelle. Ce qui est intéressant, c’est que, bien avant d’envahir l’espace médiatique, le mot "dérapage" avait déjà acquis dès les années vingt un emploi figuré pour désigner un écart psychologique ou comportemental, une perte momentanée du contrôle de soi.
Il y a donc, à l’origine, une dimension pathologique dans le dérapage, exactement comme pour la notion de "phobie" qui a, elle aussi, pris une place énorme dans le vocabulaire actuel : islamophobie, homophobie, etc. Justement parce que "dérapage" est une métaphore, le sens de ce mot reste très flou, comme l’est aussi celui des "phobies".
"Dérapage" renvoie, de manière très générale à l’idée d’écart par rapport à une norme. Si l’on regarde avec un peu d’attention dans quels contextes il est convoqué, on constate qu’il désigne un panel très large d’écarts, allant de la petite phrase "sulfureuse" comme ils disent, au geste vulgaire ou violent, en passant par les insultes. C’est large ! Mais le point commun, c’est que tout cela, ce sont des choses "pas bien".
Ingrid Riocreux : Au sens propre, déraper c’est glisser de manière incontrôlée, accidentelle. Ce qui est intéressant, c’est que, bien avant d’envahir l’espace médiatique, le mot "dérapage" avait déjà acquis dès les années vingt un emploi figuré pour désigner un écart psychologique ou comportemental, une perte momentanée du contrôle de soi.
Il y a donc, à l’origine, une dimension pathologique dans le dérapage, exactement comme pour la notion de "phobie" qui a, elle aussi, pris une place énorme dans le vocabulaire actuel : islamophobie, homophobie, etc. Justement parce que "dérapage" est une métaphore, le sens de ce mot reste très flou, comme l’est aussi celui des "phobies".
"Dérapage" renvoie, de manière très générale à l’idée d’écart par rapport à une norme. Si l’on regarde avec un peu d’attention dans quels contextes il est convoqué, on constate qu’il désigne un panel très large d’écarts, allant de la petite phrase "sulfureuse" comme ils disent, au geste vulgaire ou violent, en passant par les insultes. C’est large ! Mais le point commun, c’est que tout cela, ce sont des choses "pas bien".
Au-delà du
flottement sémantique, on voit donc que l’emploi exponentiel du mot
dérapage témoigne d’une dérive du journalisme, qui assume de plus en plus
nettement une fonction d’évaluation morale. Or, rien n’est moins
objectif qu’une évaluation morale, les notions de bien et de mal étant toujours
adossées à un certain système de pensée, une certaine vision du monde, en un
mot, à une idéologie. Il est d’ailleurs tout à fait révélateur que la plupart
des propos désignés par les journalistes comme des dérapages ne donnent lieu à
aucune poursuite judiciaire ou, quand c’est le cas, à aucune condamnation.
Parler de dérapage
permet donc, sans en avoir l’air, d’exprimer un jugement moral sur les propos
de quelqu’un, mais ce qui est frappant c’est que le journaliste lui-même n’en
est pas conscient. Il emploie la notion de dérapage en pensant
manifestement qu’il s’agit d’un terme absolument neutre. Laissez-moi vous
donner un exemple. Dans son JT de 13h, Jean-Pierre Pernaut dit un jour ceci :
"malgré son dérapage sur la race blanche, Claude Bartolone est reconduit à
la tête de l’Assemblée nationale". Le 19 décembre, dans son émission On
n’est pas couché, Laurent Ruquier commente cette phrase en accusant Pernaut
d’avoir ainsi "donné son avis". Réaction de Léa Salamé : "non,
Pernaut a raison, c’est factuel !". Pour elle, comme pour Jean-Pierre
Pernaut apparemment, un dérapage, c’est quelque chose d’objectif, de factuel.
Intégralité de l'ITW : http://www.atlantico.fr/decryptage/denonciation-derapages-deux-poids-deux-mesures-que-journalistes-pratiquent-inconsciemment-et-largement-ingrid-riocreux-2630933.html
2 - Bien que les choses ne se situe pas sur un plan idéologique ( bien que...) Je suis agacé par la signification donnée au mot ZAD dans les médias à propos de Notre Dame des Landes. ZAD c'est " zone à défendre" comme l'ont baptisé les opposants et occupants de la ZAD. Sauf que la ZAD qui en urbanisme veut dire Zone d'Aménagement Différé existait déjà dans les années 80, quand les pouvoirs publics faisait déjà l'acquisition des terrains pour le projet de transfert de l'aéroport. Dire que les ZAD est la zone à défendre, c'est de la part de la presse, adopter le point de vue des opposants.
" Mal nommer les choses, disait Albert Camus, c'est ajouter aux malheurs du monde"
2 - Bien que les choses ne se situe pas sur un plan idéologique ( bien que...) Je suis agacé par la signification donnée au mot ZAD dans les médias à propos de Notre Dame des Landes. ZAD c'est " zone à défendre" comme l'ont baptisé les opposants et occupants de la ZAD. Sauf que la ZAD qui en urbanisme veut dire Zone d'Aménagement Différé existait déjà dans les années 80, quand les pouvoirs publics faisait déjà l'acquisition des terrains pour le projet de transfert de l'aéroport. Dire que les ZAD est la zone à défendre, c'est de la part de la presse, adopter le point de vue des opposants.
" Mal nommer les choses, disait Albert Camus, c'est ajouter aux malheurs du monde"
Libellés : Aéroport Notre Dame des Landes, Albert Camus, Atlantico, dérapages, Ingrid Riocreux, langue des médias, phobie, ZAD
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