15 février 2017

Décrypter la langue des médias

L' OMUP ( Observatoire des médias de l'université permanente) a reçu le 27 janvier Ingrid Riocreux jeune agrégée de lettres modernes qui a publié en 2016 un essai approfondi et roboratif sur le thème "La langue des médias, destruction du langage et fabrication du consentement"  Editions l'Artilleur.
Séance passionnante, étayée, qui analyse le discours du Journaliste et met au jour l'inconscient de notre société.



Pourquoi une langue des médias ?
Nous avons tous notre propre langue dans laquelle s’intègre la langue des médias. La langue du Journaliste est investie d’une autorité qui lui confère un pouvoir fortement normatif, ne serait-ce que par imprégnation.
La langue des médias c’est le « copié-collé » des dépêches de l’AFP, qui conduit à un constat d’uniformité. Avec ses codes et ses règles : il convient de condamner les « dérapages » et toutes les « phobies ».
Les journaux et les  journalistes se surveillent entre eux et adopte volontiers des rappels à l’ordre. C’est au nom de «  l’éthique de responsabilité » qu’il faut encadrer ce que peuvent penser les lecteurs, auditeurs, et téléspectateurs des médias.  Pour penser bien, dans le sens de l’Histoire. D’où l’emploi d’adverbes temporels : déjà, encore, pas encore. D’où aussi l’utilisation des images qui jouent pleinement sur l’émotivité. Pourtant beaucoup de citoyens n’aiment pas qu’on leur dise ce qu’il faut penser, ils ne veulent pas être encadrés. Cette pression conduit à un manque de confiance de plus en plus grand entre médias et public, révélé par toutes les enquêtes.
Conscient  de ce décalage les médias réagissent en multipliant les fact checking, les « décodeurs » «  L’œil du 20 h » etc., qui ne sont pas forcément aussi neutres qu’ils le prétendent.
Ingrid Riocreux réhabilite à ce propos les sondages, qui par exemple dans l’élection américaine avaient montré le faible écart entre les deux candidats. Les médias ont comme si ce fait, objectif, ne pouvait pas conduire à la victoire de Trump. Le même phénomène avait été constaté en Grande Bretagne avec le Brexit ou le référendum européen de 2005.
Ingrid Riocreux  estime que la dénonciation des médias est stimulante et qu’il faudrait renouer avec l’enseignement du décryptage, développer la culture de l’analyse du message et la liberté de réception. A l’école, l’égalité dans l’accès à la parole devrait être prioritaire.
Elle préconise une vigilance qui va des fautes  de français aux fautes au regard de l’éthique journalistique.

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19 mai 2016

La langue des médias : phobie, dérapage, évaluation morale



Extrait d'une récente interview sur le site Atlantico ( plutôt à droite sur l'échiquier presse d'opinion).
Dans son dernier livre, "La langue des médias", l'universitaire Ingrid Riocreux analyse l'emploi exponentiel du mot "dérapage" par les journalistes, ce qui révèle, selon elle, une dérive de ces derniers qui assument de plus en plus une fonction d'évaluation morale.

Destruction du langage

Publié le 20 Mars 2016



Atlantico : Dans votre livre, "La langue des médias", sous-titré "destruction du langage et fabrication du consentement", vous évoquez les mots valises et autres expressions convenues des journalistes. Parmi ceux-ci, l'incontournable "dérapage", qu'on lit et qu'on entend plusieurs fois par jour désormais. Depuis quand et pourquoi, selon vous ?
Ingrid Riocreux : Au sens propre, déraper c’est glisser de manière incontrôlée, accidentelle. Ce qui est intéressant, c’est que, bien avant d’envahir l’espace médiatique, le mot "dérapage" avait déjà acquis dès les années vingt un emploi figuré pour désigner un écart psychologique ou comportemental, une perte momentanée du contrôle de soi. 
Il y a donc, à l’origine, une dimension pathologique dans le dérapage, exactement comme pour la notion de "phobie" qui a, elle aussi, pris une place énorme dans le vocabulaire actuel : islamophobie, homophobie, etc. Justement parce que "dérapage" est une métaphore, le sens de ce mot reste très flou, comme l’est aussi celui des "phobies".
"Dérapage" renvoie, de manière très générale à l’idée d’écart par rapport à une norme. Si l’on regarde avec un peu d’attention dans quels contextes il est convoqué, on constate qu’il désigne un panel très large d’écarts, allant de la petite phrase "sulfureuse" comme ils disent, au geste vulgaire ou violent, en passant par les insultes. C’est large ! Mais le point commun, c’est que tout cela, ce sont des choses "pas bien".

Au-delà du flottement sémantique, on voit donc que l’emploi exponentiel du mot dérapage témoigne d’une dérive du journalisme, qui assume de plus en plus nettement une fonction d’évaluation morale. Or, rien n’est moins objectif qu’une évaluation morale, les notions de bien et de mal étant toujours adossées à un certain système de pensée, une certaine vision du monde, en un mot, à une idéologie. Il est d’ailleurs tout à fait révélateur que la plupart des propos désignés par les journalistes comme des dérapages ne donnent lieu à aucune poursuite judiciaire ou, quand c’est le cas, à aucune condamnation.

Parler de dérapage permet donc, sans en avoir l’air, d’exprimer un jugement moral sur les propos de quelqu’un, mais ce qui est frappant c’est que le journaliste lui-même n’en est pas conscient. Il emploie la notion de dérapage en pensant manifestement qu’il s’agit d’un terme absolument neutre. Laissez-moi vous donner un exemple. Dans son JT de 13h, Jean-Pierre Pernaut dit un jour ceci : "malgré son dérapage sur la race blanche, Claude Bartolone est reconduit à la tête de l’Assemblée nationale". Le 19 décembre, dans son émission On n’est pas couché, Laurent Ruquier commente cette phrase en accusant Pernaut d’avoir ainsi "donné son avis". Réaction de Léa Salamé : "non, Pernaut a raison, c’est factuel !". Pour elle, comme pour Jean-Pierre Pernaut apparemment, un dérapage, c’est quelque chose d’objectif, de factuel.

Intégralité de l'ITW :  http://www.atlantico.fr/decryptage/denonciation-derapages-deux-poids-deux-mesures-que-journalistes-pratiquent-inconsciemment-et-largement-ingrid-riocreux-2630933.html

2 - Bien que les choses ne se situe pas sur un plan idéologique ( bien que...) Je suis agacé par la signification donnée au mot ZAD dans les médias à propos de Notre Dame des Landes. ZAD c'est " zone à défendre" comme l'ont baptisé les opposants et occupants de la ZAD. Sauf que la ZAD qui en urbanisme veut dire Zone d'Aménagement Différé existait déjà dans les années 80, quand les pouvoirs publics faisait déjà l'acquisition des terrains pour le projet de transfert de l'aéroport. Dire que les ZAD est la zone à défendre, c'est de la part de la presse, adopter le point de vue des opposants.
" Mal nommer les choses, disait Albert Camus, c'est ajouter aux malheurs du monde" 

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