17 septembre 2007

Daniel


Mémoire de sept vies

Mémoire de sept vies - c’était en 2001, Daniel, mon frère, le portrait, tendre et caustique, fait pour tes 60 ans. Depuis des chapitres ont été ajoutés, heureux, douloureux, jusqu’à ce dernier rendez-vous que tu nous as donné pour ton ultime étape dans l’église et le cimetière de Gorges le jeudi 13 septembre. Quelques étapes de ta vie riche et contrastée :

D’abord, naître en juillet 41 à la Sénardière dans un manoir, côté cour et non côté jardin : c’était déjà avoir un pied dans la tradition et un pied dans le changement « social ». Une simple anecdote sur ces années d’enfance, quand toute la Gohardière, en émoi, était à ta recherche, et te retrouve, paisiblement endormi dans un rang de vigne. Image bucolique qui témoignait déjà d’une certaine philosophie de l’existence.

La tradition – cela a été pour toi ta précoce vocation ecclésiastique. Il faut dire qu’ habiter juste en face de l’église - et avoir été tous enfants de chœur –ne pouvait que faciliter l’éclosion de cette vocation ! « la promotion sociale par le sabre et le goupillon » selon l’expression consacrée. Cela passait, alors, par le petit séminaire de Legé, puis les Coüets. « Entrer dans les ordres » étant plutôt antinomique avec ton tempérament rebelle, l’expérience ne s’est pas prolongée. Mais ton goût du beau chant grégorien y a sans doute pris ses racines.

Puis ce fut la rigueur, le respect des horaires, et le prestige de l’uniforme. Je veux parler – – de ta brève carrière aux Chemins de Fer. Ta casquette de Chef de gare ( ou assimilé…) est encore rangée dans la maison en face. Les trains à l’heure c’était monotone, et tu n’as pas persévéré.

Le temps était venu de tâter du sabre, en t’engageant dans l’armée de l’air . A défaut de piloter ou de voler, tu avais un splendide uniforme, ce qui ne pouvait qu’impressionner. D’autant que tu travaillais boulevard Victor à Paris « au ministère… ». Ce fut le temps de la modernité, c’est–à-dire les débuts de l’informatique. Nous nous retrouvons ainsi les trois fils à Paris : notre « Belle Epoque ». Et pour toi la rencontre avec Françoise, une fille des Isles, le mariage en 1971, le pavillon de Champigny sur Marne, le temps de De Gaulle et de Pompidou, les trentes glorieuses.

Mais ton désir d’indépendance – affirmé dans les luttes sociales pour plus de justice – reprend le dessus. Avec le départ pour Toulouse, c’est la période de lancement de « ta petite entreprise… ».

C’était un virage à 180°. Mais tu n’as jamais manqué de conviction et d’énergie si bien que le projet, novateur pour l’époque, de fabrication et vente à emporter de pizzas, a porté ses fruits. Françoise excellente cuisinière, mettait la main à la pâte et votre synergie était efficace. Les soirs d’été avec Elisabeth et Ségolène, tout le monde se retrouvait dans la piscine.

Dommage que des allergies, t’aient conduit à abandonner cette activité à forte valeur ajoutée, qui te plaisait beaucoup. La reconversion a été par la suite plus difficile, mais j’ai toujours admiré votre capacité avec Françoise, à positiver et rebondir.

Puis le temps est venu du retour au pays à St Nazaire, avec la restauration et pour Françoise l’enseignement au Lycée. « Sous la voûte », hôtel restaurant à deux pas du port, aurait pu faire un décor de film. Nous y avons passé en repas de famille d’excellents moments. La mer, le bateau, la pêche, l’estuaire, la proximité de Mindin pour Elisabeth, les visites dominicales à Gorges, c’était bien. Mais le travail était dur et tu aspirais à une légitime retraite.

A l’approche de la soixantaine tu reprends un peu ton souffle. C’est le retour sur Nantes Rezé où Françoise peut donner la mesure de ses talents dans le métier, plein d’embûches ,de proviseur adjointe. Tu milites, bien ancré à gauche, et t’adonnes aux activités artistiques, de la peinture sur verre au chant grégorien, où tu montres un bel enthousiasme prouvant que dans toutes ces étapes, tu n’avais pas perdu ton latin.

Comment enfin, ne pas évoquer, l’investissement d’une vie autour d’Elisabeth, de ses mystères, de la vie que le handicap bouleverse et transforme. L’opiniâtreté, l’engagement rigoureux, les responsabilités assumées au sein de l’Association des familles des résidents de l’établissement de Mindin l’AFREM –allant jusqu’au blocage du pont de St Nazaire pour vous faire entendre des décideurs – tu ne faisais pas les choses à moitié !

Ce fut aussi la période d’accueil de Franck, que Ségolène présente à sa famille, le retour vers la côte au Pouliguen, la naissance l’an dernier de la petite Roxane : « que du bonheur » avais-tu coutume de dire, alors qu’à contrario, le malheur te touchait. La maladie, si brutalement annoncé, ces soins douloureux, longs et incertains. Mais, malgré l’angoisse, tu as voulu nous réunir tous le 15 août autour des enfants et de ta petite fille, pour une belle fête. Ce fût une très belle journée, même si la faiblesse physique t’as empêché d’en être l’animateur, comme tu savais si bien le faire.

Voilà, c’était Daniel, passionné, généreux, fraternel, si vivant !

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Le livre de la vie est le livre suprême

Qu’on ne peut ni fermer ni ouvrir à son choix.

on voudrait revenir à la page que l’on aime,

et la page du chagrin est déjà sous nos doigts.