7 janvier 2010

Philippe Bilger « Nous vivons dans une société aseptisée, il n’y a plus d’effervescence républicaine ! »


« Nous vivons dans une société où il y a trop de censeurs, où la liberté n’est plus une valeur dominante. La liberté d’expression est démembrée d’une manière dévastatrice ! »
Ainsi s’exprimait récemment devant l’Observatoire universitaire des médias de Nantes, Philippe Bilger , magistrat et essayiste, avocat général à la cour d’appel de Paris, qui intervient souvent dans les médias et à travers son blog « justice au singulier » où il s’exprime avec une grande liberté et beaucoup de talents sur de multiples sujets d’actualité. Ce qu’il n’a pas manqué de faire en s’exprimant sur le thème de La judiciarisation de la pensée, un danger pour la démocratie.
Un sujet qu’il a empoigné avec une grande passion. « A peine une parole est-elle prononcée dans l’espace public que la menace de poursuite est aussitôt dégainée. La liberté d’expression est démembrée de manière dévastatrice. A cela au moins trois raisons.
D’abord le statut de la victime, dont le rôle est devenu impérieux et central. Fonder la liberté d’expression sur le statut, la douleur et la qualité des victimes peut être aimable sur le plan du cœur mais dévastateur sur le plan républicain.
Ensuite tout le monde n’a pas le droit de parler de tout. Il me semble qu’aujourd’hui nous nous préoccupons moins de la justesse d’un propos que de savoir s’il est décent ou non. Avant de s’exprimer librement il faut accepter de passer sous les fourches caudines maniées par ceux qui détiennent les secrets de la pensée correcte. Il est dangereux de considérer un propos sous l’angle de la bienséance avant de déterminer s’il est juste ou s’il ne l’est pas.
Enfin dans cette société aseptisée, il n’y a plus d’effervescence républicaine. La liberté d’expression ne semble plus être une exigence collective indiscutable, un facteur d’unité sociale et un lien démocratique. Au lieu de cela on saisit la justice, même Eric Zémour réputé pour sa liberté d’expression dans les médias n’échappe pas à ce travers ! Par exemple, la loi Gayssot est importante, mais je crois qu’elle constitue une régression considérable : condamner un mensonge au silence revient à lui offrir l’impunité, une séduction trouble et dangereuse ».
A la judiciarisation de la pensée, Philippe Bilger préfère l’affrontement civique des opinions et des idées, ce qui nécessiterait de la part des médias qu’ils sortent du convenu, de l’approximation ou de la dérision faussement audacieuse pour faire entendre la parole plurielle d’une société aujourd’hui sans voix.
Philippe Bilger a publié récemment Etats d’âme et de droit Ed. Le Cherche-Midi 2009 et avec Roland Agret Faut-il juger les juges ? Ed.Mordicus 2009

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