Mieux vaut Neymar que Drahi...
Mieux vaut Neymar que Drahi :
les leçons de morale ça suffît !
Par Régis de Castelnau dans
Causeur 7 août 2017
Avec l’arrivée de Neymar au PSG, on vient de vivre une jolie séquence de
mépris de classe et d’aversion sociale. Chez les CSP plus ou moins plus, ce ne
fut qu’une clameur : « Ces cons de prolos qui aiment le foot! Bandes
d’abrutis! »
Dans un premier temps, ce furent les cris d’orfraie à propos des sommes
en jeu dans ce transfert, puis les crachats sur ceux qui se réjouissaient ou
qui faisaient la queue pour acheter son maillot.
Tiens, à propos de maillot, une petite histoire qui se passe dans le
monde du rugby, mais qui en dit long. Et qui servira d’introduction.
C’est l’histoire d’un enfant lourdement handicapé en fauteuil roulant
que son père accompagne au stade pour une rencontre de coupe d’Europe. Celui-ci
avise le président du club qui reçoit et lui demande l’autorisation de faire un
saut dans le vestiaire avant le match pour que son fils y voie son idole,
l’Irlandais Sexton. Aussitôt dit aussitôt fait, la chaise roulante parcourt les
couloirs et rentre dans le vestiaire. Au moment où Sexton s’approche, le gamin,
les yeux brillants, écarte brusquement son blouson pour faire apparaître le
maillot floqué au nom de son héros. Celui-ci gorge nouée, yeux embués, et mains
tremblantes l’embrasse et lui promet le maillot qu’il porte pour la fin du
match. Dans ce vestiaire plein de colosses sentant l’embrocation, on n’entend
plus que des reniflements.
Il n’y a qu’un seul Neymar
Et c’est exactement la même chose dans le foot. Il suffit d’écouter Blaise Matuidi.
Parce que oui, on l’aime le « passing game ». Le jeu du peuple, de
tous les peuples. Et ceux qui y jouent et nous donnent ce plaisir, on les aime
aussi. Et tant mieux s’ils gagnent du fric. Eux ne le volent pas. Il y a UN
Neymar dans le monde, UN. Qui a bossé comme un chien pour y arriver. Comme il
n’y avait qu’UN Zidane. Et des centaines de millions de gens qui les admirent
(à juste titre). Même si on sait et le déplore, le rôle du big business qui se
gave autour d’eux.
Mais personne ne semble choqué par la fortune d’un Drahi prédateur qui
ne crée aucune valeur et s’est contenté de racheter les entreprises des autres
avec l’aide de Macron. Il est pourtant 100 fois plus riche que Neymar. Personne
ne s’offusque des Yachts à 200 millions d’€ pièce alignés par dizaines à Saint
Tropez et par centaines à Monaco. Mais un gosse des quartiers qui
sort du rang, c’est insupportable.
En général, les footeux ne se
renient pas
Un grand joueur de football c’est une entreprise économique. Ils gagnent
beaucoup d’argent mais ceux qui les emploient encore plus. Et ils font des
sacrifices, renoncent à leur jeunesse, travaillent, et travaillent encore dans
un système où il y a tant d’appelés et tellement peu d’élus. Quand ils
deviennent riches, ils en font profiter la famille, le village, la ville. Parce
que les footeux ne se renient pas en général.
Alors pourquoi tant d’amour pour ce jeu où on ne peut même pas mettre
les mains?
« Le football est universel parce que la bêtise est universelle »
disait Jorge Luis Borges, modèle d’arrogance intellectuelle qui se prenait très
au sérieux. Mais là il y va quand même un peu fort. Ce qui apporte un peu d’eau
à son moulin, c’est que la littérature entretient peu de rapports avec le foot.
Pourquoi le football n’est-il pas lui aussi une « province naturelle de la
littérature » comme le vélo ? Mystère. Pourtant, beaucoup d’écrivains l’ont
aimé, voire adoré. Beaucoup d’intellectuels aussi. Tous en ont parlé,
plus pour se justifier de leur passion que pour l’expliquer. Souvent pour ne
pas dire grand-chose. Comme Albert Camus: «Le peu de morale que je sais, je
l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront
mes vraies universités ». Précédé par Antonio Gramsci qui vante le « royaume
de la loyauté humaine exercée au grand air ».
Neymar, madeleine de Proust
des enfants d’aujourd’hui
Les passionnés qui ont pratiqué (j’ai eu cette maladie, qui s’est
révélée incurable) se demandent ce qu’ils pourraient bien dire. Pasolini, qui y
voyait « un phénomène de civilisation tellement important », a réglé le
problème en expliquant que ce sport n’avait pas besoin de mots, son langage se
suffisant à lui-même et à ceux qui le comprennent. Pirouette confortable, qui
permet d’en faire une auberge espagnole. Chacun va y apporter ses penchants,
ses souvenirs et ses émotions. Et les activer, qui en tapant dans le ballon,
qui en regardant les autres le faire. En commençant par ce qui vient de son enfance.
Écoutez ceux qui vous parlent de leur passion pour le football, ils
commencent tous par raconter leur premier souvenir de foot. En général vers
huit ans, souvent avec son père, l’évocation, au travers d’un souvenir
enjolivé, d’un moment de bonheur émerveillé. Avec d’immenses héros lointains,
Kopa, Pelé, Platini, Maradona, Zidane, Messi, Neymar… Chacun a les siens, mais
en fait, c’est toujours le même. Avec Saint-Exupéry, nous sommes tous « de
notre enfance comme d’un pays ».
Le capitalisme a toujours fait
du jeu une marchandise
Et puis au football, on y vient avec sa culture. C’est elle qui dictera
aussi nos réactions. Ah, la soirée du 8 juillet 1982 à Séville,
où la France, ridicule depuis 25 ans, parvenait en demi-finale du tournoi
mondial où elle affrontait l’Allemagne. En alignant, face aux brutes
germaniques, un milieu de terrain constitué de quatre fils d’immigrés
efflanqués qui était le meilleur du monde. Chacun connaît l’histoire et sa fin,
horrible concentré d’injustice. Je me demande bien comment Camus et Gramsci
auraient pu voir de la morale et de la loyauté dans l’agression de Schumacher
et le penalty manqué par Bossis. Je ne fus pas vraiment surpris de la réaction
d’une partie du public français qui, souvent Poulidoriste, adorant les
vainqueurs qui perdent, invoqua la malchance, vaguement l’injustice, et
plaignit beaucoup les vaincus. Pour ma part, c’était simple et stupide : la
haine du boche.
Heureusement, intellectuels gommeux et petits-bourgeois sans passion
nous expliquent doctement qu’en fait, nous sommes manipulés. On va nous
apprendre tout d’abord que le football est un moyen de gouvernement, un moyen
de pression vis-à-vis de l’opinion publique et une manière d’encadrement
idéologique des populations. Ensuite, qu’il est devenu un secteur
d’accumulation de richesse, d’argent, et donc de capital. C’est une marchandise
clé du capitalisme mondialisé. Et enfin, il constitue un corps politique, un
lieu d’investissement idéologique sur les gestes, les mouvements. Bigre. Il est
vrai que la FIFA n’est guère reluisante. Association à but non lucratif, elle
est en réalité une holding transnationale gérant le capital sportif et sa
marchandisation. Un milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2013, et autant
de réserves financières. Mais la transformation d’un jeu en marchandise n’est
pas une nouveauté, le capitalisme l’a toujours fait, dès lors que ce jeu en
valait la chandelle.
Le grand-pont de Pelé sur
Mazurkiewicz
Cette approche ne répond pas à la question : pourquoi est-ce que
tout le monde joue au foot aux quatre coins de la planète sur des terrains
vagues, dans des cours d’école, sur les plages ? Et depuis très longtemps.
Contrairement à ce que l’on peut penser, en Nouvelle-Zélande, le premier sport
pratiqué est bien le football. Et comme, c’est le peuple qui joue, c’est
souvent le sport des ouvriers, Jean-Claude Michéa, adorateur du foot mais
conscient du problème, nous propose une explication compatible avec sa
chère «common decency ». Alors, pourquoi cette fascination pour ce
jeu bizarre, qu’on peut certes jouer partout, mais où le descendant d’Homo
habilis n’a pas le droit de se servir de ses mains ?
La plus belle et fugace œuvre d’art que j’ai eu l’occasion de voir dans
ma vie est « le grand-pont sur Mazurkiewicz ». Le grand-pont, c’est
celui de Pelé en demi-finale de la coupe du monde 1970. Parti de la droite du
terrain, il va à la rencontre d’une grande transversale que vient de lui
délivrer Tostao. Le gardien uruguayen sort à sa rencontre. Pelé croise la
trajectoire du ballon sans le toucher. Crucifiant le gardien stupéfait qui voit
la balle passer à sa gauche et Pelé à sa droite.
Durée de la séquence trois secondes. Du geste génial qui nous arrache un
cri que j’entends encore, une demie seconde. Fulgurance qui résume bien le
football, un sport d’équipe organisé et rationnel et un JEU individuel et
irrationnel.
Je n’aime pas trop le PSG, mais je vais me régaler à regarder jouer
Neymar. En attendant M’Bappé…
Régis de Castelnau dans Causeur 7 août 2017
Libellés : Albert Camus, Drahi, football, Matuidi, Neymar, Pelé, Schumacher
1 Comments:
Il m'étonne que personne n'ose lever la question du blanchiment d'argent sale, ou du moins d'évasion fiscale...à propos des transferts dans le football, qui atteignent des montants déraisonnables.
Mais le football opium du peuple et désormais des VIP
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