Macron, Pleynel, Bourdin, réquisitoire et autocritique
Dans sa chronique hebdomadaire de La Croix (22.04.18), Bruno Frappat qui ne manque pas d'expérience journalistique, est impitoyable à l'égard de ses deux confrères interwieveurs du Président de la République le dimanche 15 avril. Il en tire aussi une leçon de journalisme adaptée à notre époque. Extraits.
Le journalisme est un métier dévoyé par les
maléfices de la télévision. Il ne s’agit plus de mettre en avant le réel mais
de se faire voir soi-même, « Voyez mes ailes » dans une compétition
de l’ego (« J’ai été bon ? ») qui n’épargne que peu de vedettes de l’écran, de
ces gens qu’on reconnaît dans la rue et n’en sont pas peu fiers même s’ils
affectent d’en être lassés. Montrer sa bobine ne suffit pas, il faut se forger
un personnage typé, bien installé dans une posture et campé, à coups de
« talk-shows », dans le décorum de la culture audiovisuelle. Bourdin,
c’est son métier et même son charisme, il est l’homme intraitable de la petite
aube qui met sur le gril ses interlocuteurs sans ménagements avant de partager
café et viennoiseries avec eux. Il est du genre qui ne s’en laisse pas conter,
de ceux à qui « on ne la fait pas, ah mais ! » Il est plutôt courtois à l’ordinaire. Mais, ce
soir-là, il s’était mué en agresseur donneur de leçons, bretteur méchant
accusant quasiment le chef de l’État de mensonge éhonté. Bourdin sorti de ses
gonds était plus grimaçant que nature. Quant à Plenel, plus narquois que jamais
derrière ses regards dissimulés, il méditait ses coups tordus avec la
gentillesse d’un bolchevik envisageant la présence d’un social-traître dans le
studio. Ce« trotskiste culturel », comme il aime à se définir lui-même, se voyait agent
de l’histoire en train de se faire et défenseur non pas seulement de la veuve
et de l’orphelin mais de l’humanité entière au nom d’une vertu intraitable qui
sentait son Robespierre numérique. Il était comme dressé seul face aux
atrocités des riches et des puissants.
N’est-ce pas que ces deux-là, ce soir-là, ont joué
ensemble à caricaturer tout ce que nous avons, chacun dans notre registre et à
notre place, considéré comme le sel de notre activité ?
N’as-tu pas, éditorialiste, passé ta vie à trancher de tout et de rien, y
compris de choses auxquelles tu ne connaissais ni mie ni miette ?
N’as-tu pas, chroniqueur, répandu sur la terre entière tes présupposés, tes
à-peu-près, tes mensonges même, sans te tenir modestement au plus près des
vérités des autres ? N’as-tu pas été
toi aussi imposteur pour d’autres, irrespectueux comme les deux énergumènes
qui, dimanche, ont déshonoré le métier ?
N’as-tu jamais péché par prétention, mauvaise foi ou excroissance de ton ego,
vaine gloriole et abus de position ?
Si cette émission n’a servi qu’à pousser les
journalistes à s’interroger sur le sens de leur métier et les limites de leur
potentat, elle n’aura pas été seulement une caricature de démocratie mais une
pédagogie utile pour les confrères de demain. On leur souhaite de se faire projeter
dans les écoles de journalisme cette funeste séquence pour qu’ils sachent ce
qu’il ne faut pas faire si l’on veut s’attirer un minimum de respect et de
considération.
Bruno
Frappat ( La Croix 22.04.2018)
Libellés : Bruno Frappat, Edwy Plenel, Emmanuel Macron, Jean-Jacques Bourdin, La Croix, le journalisme
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