13 janvier 2019

Jean-Marie Charon : suite - L'incertitude

Absent ( pour la première fois depuis 2006) de la conférence de l'Observatoire des médias de l'université permanente le 11 janvier, je dois à l'efficacité et la rapidité des collègues de l'équipe d'animation, d'avoir le compte rendu de cette rencontre passionnante.


Conférence du 11 janvier 2019
Les mutations des médias d'information
Jean-Marie Charon, sociologue et spécialiste des médias
Ingénieur d'études au CNRS, enseignant à l'IEP de Rennes

Conférence présentée par Patrice Saint-André

Un mot clé, incertitude : incertitudes des technologies, incertitudes des usages et des nouveaux supports de lecture, incertitudes sur l’avenir de la presse écrite
Au moment où nous sommes, on ne peut pas dire qu’il y a un modèle dominant de journal tout internet malgré le succès de certains journaux électroniques comme Mediapart. A court terme radios et télévisions sont moins ébranlées que la presse écrite.

Techniquement le numérique ce sont les appareils où on lit mais le numérique intervient aussi dans la production et la diffusion de l’information. La technologie numérique est une technologie flexible qui s'adapte aux modes de traitement de l'information, à la publicité et à la diffusion.
Sociologiquement on observe une plus grande individualisation du journalisme : de rédactions à des auteurs individuels,  disparition de la presse populaire générale et développement des magazines de niche.

Trois facteurs expliquent les mutations des médias d'information

1 - La presse, depuis le XIXe siècle, reposait sur un modèle financé par ses lecteurs, la publicité et les petites annonces dont les « rentrées » permettaient une accessibilité plus large de la presse, le journal étant cofinancé (à 40 % en France par la publicité, jusqu’à 80 aux Etats-Unis).
La numérisation s’est attaquée dès le départ aux ressources publicitaires. Les annonces publicitaires migrent sur des sites, y compris de services comme météo France.
Mediamétrie comptabilise les audiences des sites en France. Ce mois-ci sont en tête Google, Facebook puis les sites de Microsoft. Ces sites n’ont pas que la diffusion, le volume, mais le recueil des données des lecteurs permettant de placer les publicités au bon moment. Ce couplage est impossible dans les médias traditionnels qui perdent ces ressources.

2 - A l’origine d’internet il y a des chercheurs et des gens issus de la contre culture pour lesquels l’information devait être gratuite. Quand elle est allée sur Internet, la presse écrite pouvait difficilement demander un abonnement et le financement par la publicité n’est pas suffisant.

3 - Engouement des jeunes pour les blogs et les réseaux sociaux. Pour les usages il y a aussi des ruptures. Nous, dans notre génération, nous avons notre bouquet de médias, alors que  les plus jeunes ont un mode de recherche horizontal sur les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux, accompagnés par leurs amis Facebook et leurs recommandations ou par les algorithmes des moteurs de recherche. Ils iront éventuellement sur des pages de médias mais pas spontanément.

Pour la presse écrite ces trois facteurs ont des conséquences, d’abord la chute vertigineuse de son chiffre d’affaires qui entraîne la nécessité de se réinventer dans les contenus et de se réorganiser dans l’urgence. Des journaux comme the Gardian ou le Monde ont des rédactions qui travaillent 24 heures sur 24 avec des bureaux sur plusieurs continents. Les effectifs de journalistes fondent – 30% en Espagne ou aux USA.
La presse tente d’être multisupports. Or selon le moment de la journée, le lieu  et l’outil  de lecture ( smartphone, tablette, ordinateur…) les façons de lire sont très différentes, d’autant que Facebook recule devant Instagram chez les Jeunes, ce qui induit des modifications comme la réduction des texte et le développement des images, fixes ou animées. Cette diversification formelle est à conduire en parallèle avec le métier traditionnel de journaliste, recouper et vérifier les informations, mener des investigations. Dans certains journaux on voit une séparation entre des « chasseurs », pourvoyeurs de contenus sans souci de la forme et des « éditeurs »,  qui les mettent en forme pour tel ou tel support ou âge et qui sont parfois responsables des interactions avec les lecteurs. Des expérimentations, comme un « Journalisme de solution » à Nice matin  pour orienter les sujets en fonction des attentes des lecteurs.

« Concevoir un même contenu sur tous les supports est une solution où on a tout faux ! »

Questions des auditeurs
Gilets jaunes et médias
Les gilets ont une vive défiance vis-à-vis des journalistes. Depuis 30 ans les chiffres du baromètre bougent peu, la défiance existe. La télévision est maintenant la plus critiquée, notamment BFM, chaîne d’information continue. En 2005 dans les banlieues il y avait déjà de l’agressivité. Les journalistes sont des « empêcheurs de penser en rond », face au simplisme ambiant.

Autrefois la lecture du journal instruisait, diffusait des connaissances mais maintenant de nombreux lecteurs sont au moins aussi compétents que les journalistes pour les sujets qu’ils connaissent ou pratiquent. Pour accepter de payer l’information il faut donc avoir de l’expertise.
La fonction des médias a changé. Ils étaient partagés et discutés dans des entourages de classe, syndicaux, religieux … maintenant on est plus isolé.

« Fakes news » ou infox  (terme de la récente loi): elles arrivent trop vite et beaucoup plus par les réseaux sociaux. Les rédactions  fragilisées ont du mal à vérifier. Le Factchecking c’était au départ une agence pour rédactions leur permettant de vérifier les faits. L’AFP a créé une structure.

Compte-rendu réalisé par Jean-Pierre Benoît et Patrice Saint-André (12-01-2019)

Jean-Marie Charon a publié une vingtaine d'ouvrages. Le dernier en 2018, Rédactions en invention, essai sur les mutations des médias d'information (éditions UPPR)


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