Jean-Marie Charon : suite - L'incertitude
Absent ( pour la première fois depuis 2006) de la conférence de l'Observatoire des médias de l'université permanente le 11 janvier, je dois à l'efficacité et la rapidité des collègues de l'équipe d'animation, d'avoir le compte rendu de cette rencontre passionnante.
Conférence du 11
janvier 2019
Les mutations des médias d'information
Jean-Marie Charon,
sociologue et spécialiste des médias
Ingénieur d'études au
CNRS, enseignant à l'IEP de Rennes
Conférence présentée par Patrice Saint-André
Un mot clé, incertitude :
incertitudes des technologies, incertitudes des usages et des nouveaux supports
de lecture, incertitudes sur l’avenir de la presse écrite
Au moment où nous sommes, on ne peut pas dire
qu’il y a un modèle dominant de journal tout internet malgré le succès de
certains journaux électroniques comme Mediapart.
A court terme radios et télévisions sont moins ébranlées que la presse
écrite.
Techniquement le numérique ce sont les appareils
où on lit mais le numérique intervient aussi dans la production et la diffusion
de l’information. La technologie numérique est une technologie flexible qui
s'adapte aux modes de traitement de l'information, à la publicité et à la
diffusion.
Sociologiquement on observe une plus grande
individualisation du journalisme : de rédactions à des auteurs
individuels, disparition de la presse
populaire générale et développement des magazines de niche.
Trois facteurs expliquent les mutations des médias
d'information
1 - La presse, depuis le XIXe siècle, reposait sur
un modèle financé par ses lecteurs, la publicité et les petites annonces dont
les « rentrées » permettaient une accessibilité plus large de la
presse, le journal étant cofinancé (à 40 % en France par la publicité, jusqu’à
80 aux Etats-Unis).
La numérisation s’est attaquée dès le départ aux
ressources publicitaires. Les annonces publicitaires migrent sur des sites, y
compris de services comme météo France.
Mediamétrie comptabilise les audiences des sites
en France. Ce mois-ci sont en tête Google, Facebook puis les sites de
Microsoft. Ces sites n’ont pas que la diffusion, le volume, mais le recueil des
données des lecteurs permettant de placer les publicités au bon moment. Ce
couplage est impossible dans les médias traditionnels qui perdent ces
ressources.
2 - A l’origine d’internet il y a des chercheurs
et des gens issus de la contre culture pour lesquels l’information devait être
gratuite. Quand elle est allée sur Internet, la presse écrite pouvait
difficilement demander un abonnement et le financement par la publicité n’est
pas suffisant.
3 - Engouement des jeunes pour les blogs et les
réseaux sociaux. Pour les usages il y a aussi des ruptures. Nous, dans notre
génération, nous avons notre bouquet de médias, alors que les plus jeunes ont un mode de recherche
horizontal sur les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux, accompagnés par
leurs amis Facebook et leurs recommandations ou par les algorithmes des moteurs
de recherche. Ils iront éventuellement sur des pages de médias mais pas
spontanément.
Pour la presse écrite ces trois facteurs ont des
conséquences, d’abord la chute vertigineuse de son chiffre d’affaires qui
entraîne la nécessité de se réinventer dans les contenus et de se réorganiser
dans l’urgence. Des journaux comme the
Gardian ou le Monde ont des
rédactions qui travaillent 24 heures sur 24 avec des bureaux sur plusieurs
continents. Les effectifs de journalistes fondent – 30% en Espagne ou aux USA.
La presse tente d’être multisupports. Or selon le moment
de la journée, le lieu et l’outil de lecture ( smartphone, tablette,
ordinateur…) les façons de lire sont très différentes, d’autant que Facebook
recule devant Instagram chez les Jeunes, ce qui induit des modifications comme
la réduction des texte et le développement des images, fixes ou animées. Cette
diversification formelle est à conduire en parallèle avec le métier
traditionnel de journaliste, recouper et vérifier les informations, mener des
investigations. Dans certains journaux on voit une séparation entre des
« chasseurs », pourvoyeurs de contenus sans souci de la forme et des
« éditeurs », qui les mettent
en forme pour tel ou tel support ou âge et qui sont parfois responsables des
interactions avec les lecteurs. Des expérimentations, comme un « Journalisme
de solution » à Nice matin pour orienter les sujets en fonction des
attentes des lecteurs.
« Concevoir un même contenu sur tous les
supports est une solution où on a tout faux ! »
Questions
des auditeurs
Gilets jaunes et médias
Les gilets ont une vive défiance vis-à-vis des
journalistes. Depuis 30 ans les chiffres du baromètre bougent peu, la défiance
existe. La télévision est maintenant la plus critiquée, notamment BFM, chaîne
d’information continue. En 2005 dans les banlieues il y avait déjà de
l’agressivité. Les journalistes sont des « empêcheurs de penser en
rond », face au simplisme ambiant.
Autrefois la lecture du journal instruisait,
diffusait des connaissances mais maintenant de nombreux lecteurs sont au moins
aussi compétents que les journalistes pour les sujets qu’ils connaissent ou
pratiquent. Pour accepter de payer l’information il faut donc avoir de
l’expertise.
La fonction des médias a changé. Ils étaient
partagés et discutés dans des entourages de classe, syndicaux, religieux …
maintenant on est plus isolé.
« Fakes news » ou infox (terme de la récente loi): elles arrivent
trop vite et beaucoup plus par les réseaux sociaux. Les rédactions fragilisées ont du mal à vérifier. Le
Factchecking c’était au départ une agence pour rédactions leur permettant de
vérifier les faits. L’AFP a créé une structure.
Compte-rendu réalisé par Jean-Pierre Benoît et
Patrice Saint-André (12-01-2019)
Jean-Marie Charon a publié une vingtaine
d'ouvrages. Le dernier en 2018, Rédactions en invention, essai sur les
mutations des médias d'information (éditions UPPR)
Libellés : Jean-Marie Charon, Mutations des médias, OMUP ( Observatoire des médias UP)
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