13 janvier 2022

Modération et censure sur le Web - Romain BADOUARD à l'Observatoire des médias

 Observatoire des médias – 17 décembre 2021

Compte rendu de la conférence débat de Romain Badouard

Modération et censure sur le Web

Présentation : Patrice Saint André

photo JC2

Internet né aux Etats Unis a été conçu comme un outil de la liberté d’expression. La liberté d’expression est centrale dans la culture américaine à travers notamment le 1er amendement de la constitution qui précise que l’Etat doit être extérieur au libre marché des idées.  C’est un modèle politique différent de la culture française où très tôt le législateur a voulu réguler la liberté d’expression en particulier par  la loi de 1881 sur la liberté de la presse et ses compléments ultérieurs qui ont notamment introduit les notions  de discrimination, d’injure ou  de  diffamation.  Le nouveau contexte créé par Internet est apparu en 1996 en France lors de l’interdiction du livre du médecin de François Mitterrand. Le livre a été repris via un cyber café de Besançon par des sites accessibles  à l’étranger permettant  ainsi de contourner l’interdiction.

L’apparition et le développement des réseaux sociaux et les excès qu’ils provoquent n’ont fait qu’accentuer la demande de régulation du Web particulièrement au regard des incitations à la haine et au harcèlement. Mais qui est responsable d’un propos sur Internet, le « plombier »  ou hébergeur qui fournit les réseaux et le support, ou l’éditeur, auteur du message ? Les réseaux sociaux ont bouleversé les choses sur le plan juridique et le « filtrage » par les plates formes s’est progressivement accru.

La recentralisation du Web s’est notamment manifestée par la censure imposée à Donald Trump lors de l’invasion du Capitole le jour de la prestation de serment de Jo Biden,  ou  l’invisibilisation  de certains réseaux féministes ou, la disparition, pour les Chinois, des massacres de la place Tien’ Anmen. Les publicateurs élaborent des standards de publication qui, dans un premier temps, ont imposé la pudibonderie américaine à toute la toile. Les règles ont évolué progressivement en fonction des pays et des cultures locales.

Concrètement les plates formes interviennent :

-          Par les signalements des internautes, qui suscitent la réaction de « censeurs » souvent installés dans les pays du Sud. Leur mission est de décider « en 2 secondes » ce qui doit être publié ou non. Les risques de manipulation ou de signalement abusifs sont évidents. La matière est d’un volume considérable (Youtube, c’est 500 heures de vidéos à la minute…).

-          Utilisation de l’intelligence artificielle. S’avère efficace pour détecter des images (nudité). La détection à partir des mots est plus incertaine, le sens pouvant être très différent selon le contexte et selon les codes utilisés par des minorités (cf.88 pour les pro-nazis). Par ailleurs, l’intelligence artificielle ne connait pas l’ironie…

-          Les plates formes peuvent aussi «  invisibiliser » ou dégrader considérablement les contenus ou les émetteurs « nocifs ».

Quel rôle pour  les Etats ? L’intervention se concrétise sous plusieurs formes.

-          Les menaces d’amende comme dans la loi Avia du 24 juin 2020. Des interventions en principe rapides  (24 ou 48 h) et des sanctions lourdes, jusqu’à 4% du chiffre d’affaires . La loi a été largement réformée par le Conseil Constitutionnel.

-          La recherche de la transparence sur les modalités de contrôle, en d’autres termes lutter contre l’opacité stratégique.

-          Au plan européen, la mise en place du Digital Service Act qui vise à développer des audits indépendants. Tout ce qui est interdit dans l'espace public sera aussi interdit dans l’espace online. 

Enfin, l’intervention de la justice reste encore à inventer, ainsi que la gouvernance démocratique des contenus où les internautes doivent trouver leur place.



Jean-Claude Charrier-
Décembre 2021

Le livre de Romain Badouard Les nouvelles lois du Web ; Modération et censure – Seuil La République des idées 2020

        L'intégralité de la conférence sur la Web télé de l'université de Nantes

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14 février 2018

Le désenchantement de l'internet - Romain Badouard

Passionnante, convaincante et d'une grand clarté, telle a été la conférence débat de Romain Badouard vendredi dernier devant l'OMUP et environ 300 personnes. Maitre de conférence à l'université de Cergy Pontoise, il est, dans la nouvelle génération  avec Gérald Bronner et Dominique Cardon, un des meilleurs observateurs des évolutions d'internet. Son dernier livre Le désenchantement de l'internet, Désinformation, rumeur et propagande ( Ed. FYP Limoges) est un excellent outil pour comprendre ce qui se joue sur internet.

 Romain Badouard retient sept points pour expliquer comment internet transforme et met en péril la démocratie.
1 - Nous vivons la fin des gatekeepers c'est à dire des gardiens de l'information qu'étaient les journalistes qui contrôlaient le droit de s'exprimer. Aujourd'hui le filtrage se fait par les algorithmes. C'est un contrôle éditorial à postériori.
2 - La parole d'autorité liée au statut, à l'expertise, est mise en cause. Ce qui compte c'est la "popularité" , le nombre de liens sur les réseaux sociaux. Les discussions  doivent se faire d'égal à égal.
3 - La frontière entre vie publique et vie privée disparaît. C'est une constatation que nous pouvons faire chaque jour dans la société et les médias cf " Balance ton  porc".
4 - La dimension identitaire. Ce que nous partageons, nous donne une identité numérique qui nous intègre dans un groupe qui nous ressemble. La dimension identitaire est particulièrement grande dans la diffusion des fakes news ( fausses nouvelles).
5 - La démocratie " push button" . "La démocratie des paresseux"  où de son fauteuil par un clic, on signe des pétitions. C'est aussi un moyen politique pour ceux qui ne maitrisent pas l'écrit ou la parole. A l'exemple du printemps en Tunisie, où le push button  a été un outil central de mobilisation.
6 - L'enfermement idéologique de l'internet. Internet incite à " se conforter dans son opinion plutôt que se confronter". Google met en place des bulles de filtrage qui renforcent les points de vue de l'internaute et ignorent d'autres aspects. Les algorithmes proposent en fonction des recherches antérieures. Exemples : les aveux de cécité de grands éditorialistes anglo-saxons face au Brexit et à la montée de Trump. C'est le règne de la post vérité où il est donné plus d'importance aux émotions et aux opinions qu'à la réalité des faits.
7 - La privatisation de l'internet. La censure ou le contrôle sont plus compliqués s'agissant de contrôle à postériori. Les grands opérateurs sont dans une idéologie LiLi ( libérale libertaire) qui va à l'encontre des contraintes d'ordre public. Toutefois face à la désinformation, aux fake news, aux rumeurs envahissantes, et à la crise démocratique, une prise de conscience des GAFAN ( google, amazon, facebook, apple, netfix) est en cours. Mais les méthodes et objectifs restent opaques.

Romain Badouard propose de reprendre possession de l'internet. L'éducation doit y occuper une grande place.                                                                            

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6 février 2018

Internet, un danger pour la démocratie

Nous recevons vendredi 9 février, dans le cadre de l'OMUP, Romain Badouard, jeune universitaire sur le thème du désenchantement de l'internet.



OBSERVATOIRE DES MEDIAS DE L’UNIVERSITE PERMANENTE – 9 février
Le désenchantement de l’Internet. Désinformation, rumeur et propagande
Romain BADOUARD

Romain BADOUARD est maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise et chercheur au sein du laboratoire AGORA. Ses recherches portent principalement sur les mouvements d'opinion, les mobilisations politiques et la participation citoyenne sur internet. Il enseigne au sein du parcours "Journalisme, Edition, Communication" ainsi qu'en master de journalisme à Gennevilliers des cours portant sur les enjeux socio-politiques du numérique,  et les méthodes d'enquête en ligne. Il est par ailleurs co-rédacteur en chef de la revue Participations, revue de sciences sociales sur la démocratie et la citoyenneté, et membre du comité de rédaction de la revue Hermès. Depuis 2017, il est membre de l'Observatoire "Médias et Education" du CSA. Il a publié en 2017 Le désenchantement de l'Internet. Désinformation, rumeur et propagande, aux Editions FYP.
Internet est-il devenu l’ennemi de la démocratie ?
Rumeur, fake news, harcèlement, propagande, surveillance généralisée…, le débat public en ligne s’est transformé en véritable champ de bataille. Pourtant, il y a encore une dizaine d’années, on louait l’exemplarité de l’internet comme étant l’outil d’un renouveau démocratique. Comment expliquer ce retournement ? Romain Badouard s’est penché  sur les enjeux politiques de l’internet. Dans son dernier essai, il  montre que le pouvoir se loge au coeur même des technologies. Internet porte en lui un modèle communautariste qui favorise les clivages. Dans cet univers profondément conflictuel, l’enjeu n’est plus d’échanger, mais d’occuper l’espace. La dérégulation généralisée du marché de l’information fait peser de sérieuses menaces sur l’exercice de la liberté d’expression.
C’est la défense de l’internet comme bien commun qui est en train de se jouer aujourd’hui. Et parce que le numérique est l’affaire de tous, c’est aussi l’avenir de nos démocraties dont il est question.
Présentation Madie Magimel
Vendredi 9 février – Amphi 400, Fac de Pharmacie, 9 rue Bias, Nantes – 14 h 30 à 16 h 8 € pour les personnes non inscrites au cycle de conférences de l’Observatoire des médias ( code 035001), dans la limite des places disponibles.

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